this is who you are
( in this story you are the hero )"Viens voir ce que j'ai trouvé en faisant un peu de rangement l'autre jour.
- Maman, me dis pas que tu vas me ressortir mes vieux bulletins, tu sais de toute façon qu'ils sont pourris... et qu'après un temps, il y en a plus du tout.
- Mais non, un vieil album photo. Viens, jette un oeil avec moi...
- Ok ok.''
Je m'assieds sur le canapé en velours et souris quand elle s'assied à côté de moi, ramenant le lourd pavé qu'elle pose sur mes genoux. Première photo, Mathilda, ma petite soeur, et moi.
On était ados. La vache, ça remonte maintenant. Je devais avoir quoi, treize? Quatorze ans? Je crois que c'est au moment où je me suis barré du foyer dans lequel je vivais, après qu'on nous ait enlevés à nos parents. Enfin à notre mère, vu que notre père, j'ai jamais su qui c'était. Mathilda et moi... Elle avait eu la chance d'aller dans une famille d'accueil qui s'occupait bien d'elle, et je l'engueulais à chaque fois que je la voyais en lui disant et répétant qu'elle devait aller en cours, bien travailler, et pas faire de vagues. Elle était l'intelligente de nous deux, la gentille fille, douce et polie, alors que moi... j'étais comme un papillon de nuit qui se cogne partout en cherchant la sortie qui n'existe pas. J'en voulais à tout et tout le mnde d'avoir eu des parents de merde, une mère junkie incapable de s'occuper de nous, d'avoir dû m'occuper de Mattie, d'avoir dû piquer dans des magasins pour qu'on puisse au moins manger tous les deux, dans le taudis qui nous servait d'appart. J'étais en colère d'avoir été arraché à ce trou, enfin non théoriquement j'étais plutôt content, vu que j'en avais, et j'ai toujours absolument rien à foutre de ma génitrice, mais je pensais que les choses allaient s'arranger. Vraiment.
Nouvelle page, nouvelle photo. Encore nous deux, tellement jeunes.
Le foyer était pas génial, et on était un regroupement de gamins fracassés, fragiles et en colère, comme moi. Les gens étaient gentils mais on était trop et il y avait pas assez d'argent. Ils pouvaient pas surveiller tout le monde, et empêcher certains grands de s'en prendre à d'autres. Comme à moi. J'étais de loin pas le plus jeune mais j'étais une crevette, et ils ont commencé à m'emmerder. Alors après un ou deux passages à tabac je me suis barré. J'ai pris mes affaires, j'ai tout fourré dans mon sac à dos et je suis parti. Les premiers jours j'étais terrifié, surtout la nuit, alors je me planquais où je pouvais. Les gares routières, certains centres commerciaux... je dormais la journée où je risquais moins, et la nuit je trainais, piquant ma bouffe et allant quand même aux rendez-vous du vendredi avec Mattie. Toutes les semaines on allait au cinéma et on allait manger une glace. Elle ne se doutait pas que je devais piquer des portefeuilles dans le métro ou forcer des distributeurs pour avoir la poignée de pièces qui nous permettrait d'aller voir un film, et c'était tant mieux. C'était ma petite soeur et elle n'avait pas besoin de savoir ça...
Oh mon dieu la tête de petit con. C'est pas pour rien qu'on dit ''l'âge con''... c'est à peu près à cette époque que j'ai déconné. J'ai réussi à me faire accepter dans une bande de sales gosses comme moi, des délinquants, des paumés, et je suis passé au niveau supérieur point de vue bêtises. On tirait des bagnoles, et chourait des sacs à main et autres trucs vraiment idiots... mais on était jeunes, désespérés et c'était tellement facile. Trop facile. Enfin je le croyais. Une belle berline allemande... Je savais exactement comment la démarrer et autres, sauf que les flics nous ont chopés. Une course poursuite en ville, et la bagnole soigneusement plantée contre un lampadaire. C'est là que je l'ai vu pour la première fois. Papa.
C'est dingue quand j'y pense, à quel point ma vie aurait pu être différente si j'avais pris une autre bagnole, si lui n'avait pas bossé, si ça avait été un collègue qui était de service cette nuit là à sa place... je serais sûrement pas là pour en parler... L'avoir rencontré a été la meilleure chose de ma vie. Un grand irlandais droit dans ses bottes, la quintessence du bon flic, droit, juste et compréhensif. C'est lui qui m'a récupéré dans la bagnole au capot défoncé et fumant et qui m'a assis dans sa bagnole à lui. Je me rappelle de son regard dans le rétroviseur, et de ses mots.
''Gamin, je crois qu'on aurait tous les deux besoin d'un bon café''.
Il aurait pu me foutre en cellule, appeler un juge pour qu'on me colle en prison pour mineurs, plein de trucs mais non. Il s'est garé devant un diner, m'a emmené dedans et nous a commandé à manger.
Bizarrement il est arrivé à me faire parler, il est arrivé à m'apprivoiser un petit peu... On allait manger un bout après son service, et petit à petit je me suis tenu loin des conneries. Pourquoi? Il m'a fallu du temps avant de mettre le doigt dessus et ensuite j'ai compris. J'avais peur de le décevoir. Et ouais il m'avait petit à petit pris dans ses filets, et était devenu le père que j'avais eu. Trois mois plus tard, il m'avait proposé de venir avec lui et sa femme.
Je la connaissais, il m'avait déjà ramené chez lui pour des dîners, pour me doucher et dormir, quelques fois, mais là... là... J'ai chialé comme un gosse et j'ai voulu le rendre fier. Même si c'était pas tous les jours facile de me plier de nouveau à des règles, de retourner au lycée et de rattraper mon retard. Et puis grâce à lui j'ai su ce que je voulais faire. Etre comme lui...
Je me rappelle du moment où on a pris cette photo. Les résultats du concours d'entrée à l'école de police. Bien sûr papa savait, mais il m'a rien dit. Et j'ai attendu ma lettre comme tout le monde, bien sagement. La vache j'en ai été tellement ému...
Bon sang cette photo est tellement pourrie... pourtant elle est aussi importante. Une autre passion que j'ai découverte avec papa, la guitare et le banjo. C'est un foutu bon joueur, et même après toutes ces années il reste meilleur que moi. C'est lui qui m'a mis le pied à l'étrier et qui m'a initié à ça...
Oh mon dieu cette coupe de cheveux... mais la guitare, encore là. J'ai donc fait mes classes, sué comme tous les bleus, je me suis pris mon lot de coups et de gamelles mais je me suis accroché. J'ai pas été le meilleur, mais je me suis pas trop mal classé et je me suis tellement senti fier en voyant son sourire quand j'ai reçu mon diplôme final.
Ensuite j'ai un peu erré de service en service, jusqu'à trouver mon département. Les moeurs. Plus particulièrement les brigades spécialisées dans les jeux d'argent clandestins. Depuis plusieurs mois je suis en infiltration dans certains cercles de jeux privés, où je me suis fait connaître sous le nom de ''Ace''. J'ai de la chance, mes années dans la rue m'ont appris à être un putain de joueur de poker, du coup je fais illusion. Même si j'ai du m'éloigner un peu de mon style habituel pour coller un peu mieux à mon nouveau personnage.
Aux yeux de tous je suis un des leurs, un des méchants garçons, enfin pas trop quand même. Je vis la nuit, j'ai mon groupe de rock et passe beaucoup trop de temps face à un tapis vert, un cigare ou une cigarette entre les lèvres. Et pour donner le change, je dois parfois me faire choper en même temps que les autres lors d'une belle rafle.
Bien sûr j'ai encore un pied au commissariat mais on doit pas m'y voir trop souvent. Logique. Je rencontre mon lieutenant une fois par semaine pour le tenir au courant de tout ce que j'apprends, et c'est fou ce qu'on peut récolter comme infos en laissant trainer ses oreilles dans ce genre d'endroits. J'essaie de garder une vie sociale, même si c'est pas facile...j'ai des amis que je vois, et quand je peux je prends du temps pour aller voir Mattie et ses terreurs. Parce qu'entre temps ma petite soeur est devenue instit et a deux garçons dont je suis dingue. Ils me font oublier la noirceur de mon monde et de mon boulot au quotidien.