this is who you are
( in this story you are the hero )Grandir dans une famille nombreuse n'est pas chose aisée, Olivia Canjura peut en témoigner. En particulier quand on se trouve être parmi les derniers. Les parents ont beau faire de leurs mieux, ils ne peuvent pas s'intéresser équitablement à tous leurs enfants. Alors, forcément, on cadre les cas difficiles, on félicite ceux qui réussissent, mais qu'en est-il de ceux qui ne sont ni l'un, ni l'autre ? Cela était le cas d'Olivia : elle avait toujours été au milieu. Elle n'était pas mauvaise à l'école, ne cherchait pas la bagarre, mais ne brillait ni par son intelligence, ni par son charisme. Elle n'était pas bavarde, mais pas non plus timide, pas grande gueule, mais ne se laissait pas faire pour autant. C'était comme si sa personnalité s'était développé sur le tard. C'était sans doute inconscient, pour épargner ses parents, déjà bien occupé avec leurs sept autres enfants, qui était loin d'être aussi facile qu'elle.
Ainsi, elle passait son temps libre, dans sa jeunesse, à dévorer des livres de toutes sortes. Elle était complètement accro. Elle aimait tout : fiction, histoire, science... Évidemment, ses parents n'avaient pas assez d'argent pour céder à tous ses caprices, donc elle ne possédait que très peu de livres à elle. Donc la bibliothèque du quartier était devenue une seconde maison. C'était un petit bâtiment, un peu miteux et complètement déserté, la passion de lire n'étant pas très commune dans les environs, mais cela comblait Olivia.
Elle avait une large préférence pour la fiction, en particulier les romans noirs. La jeune fille aimait beaucoup l'ambiance sombre qui en dégageait, les histoires de flics et de gangs où il n'y avait ni méchants ni gentils. Peut-être qu'elle préférait cette vision romancée de son environnement, plutôt que la réalité qui l'attendait à la maison.
En tout cas, cela avait eu un effet secondaire un peu imprévu cependant, c'est que jusqu'à ses quatorze ans, elle clamait haut et fort qu'elle voulait devenir policière plus tard, sans comprendre les regards gênés que lui lançait sa famille à chaque fois. Évidemment, elle abandonna très vite ce projet quand elle sut que ses grands frères étaient tous dans la MS13. Certes, elle s'en était toujours douté au fond d'elle, mais avait essayé de fermer les yeux, jusqu'à ce que ses frères en parle clairement devant elle et qu'elle ne puisse plus. Ce fut le premier soir où la sage petite Olivia, celle qui ne faisait jamais de vague, se mit à hurler. Elle cria sur ses frères, pour avoir fait ça, sur Lyla, qui cautionnait ça et sortait même avec un MS13, sur ses parents, qui avait laissé faire ça. Elle n'était pas réellement en colère contre sa famille ce soir-là, plus contre la réalité qui avait enfin fini par la rattraper, elle qui la fuyait depuis si longtemps. Elle cria tout son dégoût, puis parti se réfugier au seul endroit où elle se sentait à l'aise : la bibliothèque.
Elle claqua la porte de chez elle et couru le plus vite possible hors de vue de sa maison. Quand elle s'estima finalement assez loin, elle ralentit le pas et en profita pour essuyer ses larmes, qui avait coulé malgré elle pendant sa tirade. Elle prit enfin le temps de réfléchir sur ce qu'elle venait de faire. Ce n'était pas réellement la première fois qu'elle criait, évidemment. Chez les Canjura, il fallait savoir se faire entendre, de tous les moyens possibles. Mais c'était la première fois qu'elle déclenchait elle-même la confrontation. Elle-même ne savait pas pourquoi elle était aussi touchée par cette histoire, pourquoi ce soir-là en particulier, elle avait décidé de péter un câble. Peut-être qu'elle avait trop accumulé au fil du temps et qu'elle avait atteint son point de rupture. Ou peut-être que…
Perdue dans ses pensées, Olivia ne remarqua pas qu'un groupe de cinq hommes, à son passage, s'était mis à la regarder fixement tout en changeant des messes basses, jusqu'à ce que l'un d'entre eux l'interpelle :
« Canjura ? ». Par réflexe, Olivia retourna brièvement la tête, puis voyant qu'elle ne connaissait pas le groupe, décida de les ignorer.
« Tu vois ? C'est une Canjura. Je savais bien qu'elle me disait quelque chose, je l'ai vu avec Angelo l'autre jour. Eh, chica ! Reviens ! ». A ces paroles, Olivia accéléra le pas, au contraire, mais le groupe la rattrapa très vite. Celui qui l'avait interpellé lui attrapa le poignet. Elle essaya de se dégager, mais un autre lui agrippa les épaules.
« Laissez-moi tranquille! » cria-t-elle, désespérée.
« Pas si vite ma belle, on est pas pressé ! » fit un autre, avec un sourire carnassier. Les autres éclatèrent de rire.
« Quelle chance de tomber sur toi comme ça. Tu sais, tes frères, ce sont des vrais emmerdeurs. Tu voudrais pas leur faire passer un petit message de notre part? ». Olivia, n’appréciant pas du tout la tournure des événements, tenta de supplier une dernière fois :
« Très bien, tout ce que vous voulez, mais lâchez-moi d'abord ! », et voyant qu'ils rirent à nous, commença à se débattre violemment, en désespoir de cause. Elle se doutait à présent de l'identité de ses tortionnaires, probablement des membres d'un gang rival comme des chicanos, et était sûre d'une chose : si elle ne parvenait pas à s'échapper, elle allait probablement mourir.
« Ce n'est pas le genre de message qu'on dit ». A ce moment précis, Olivia sentit toutes ses forces l'abandonner. Pour elle, la partie était finie.
…
Ils ne l'avaient pas tué ce soit-là, mais une partie d'elle était définitivement morte. Lyla l'avait retrouvé quelques heures plus tard, prostrée dans une ruelle, le regard dans le vide, incapable de pleurer, de crier, ni même de parler. Sa sœur avait commencé par la réprimander d'être partie aussi brutalement de la maison, tout le monde s'était fait un sang d'encre, blablabla… Puis elle avait vu que quelque chose clochait. Elle a d'abord essayé d'en parler, puis en voyant qu'Olivia en était incapable, l'avait simplement raccompagné à la maison, encore vide puisque tous les autres étaient encore à la recherche de la benjamine de la famille. Olivia ne sortit de son mutisme que pour dire une seule phrase.
« N'en parle à personne s'il te plait. »Et Lyla avait tenu parole. Quand toute la famille se retrouva le soir, tout le monde reprocha à Olivia son attitude, sans se douter le moins du monde de tout ce qu'elle venait de subir, mettant son humeur massacrante sur le compte de son dernier coup de gueule. La vie reprit son cours normal pour tout le monde.
Mais Olivia avait beau essayer, elle ne pouvait pas passer à autre chose. Elle était incapable de refaire le trajet pour aller à la bibliothèque, elle sursautait au moindre contact physique, elle faisait des cauchemars et faisait régulièrement des crises d'angoisses. Soudainement, la petite fille sage des Canjura était devenue une furie, incapable de se contrôler. Elle en devint insupportable, en permanence à fleur de peau, comme si elle devait faire payer tout le monde pour son malheur. Son corps la dégouttait tellement qu'elle se scarifiait régulièrement.
Puis vint la drogue. Au fond, Olivia avait toujours été une addict. Il suffisait de voir comment elle était avec ses livres dans sa jeunesse. Alors, forcément, elle tomba très vite dans la dope. Elle qui ne pouvait plus passer une journée sans se remémorer son calvaire, au point qu'elle n'en dormait plus, il a suffi qu'on lui présente ça comme une possibilité d'échapper à sa souffrance pour s'y mettre. Elle n'a pas hésité une seule seconde.
Elle fut tellement droguée durant cette période qu'elle ne se rendit compte que six mois plus tard qu'elle était enceinte. Déni de grossesse, disait le docteur, c'est pour ça qu'elle ne s'était rendu compte de rien. Pour ne rien n'arranger, il était beaucoup trop tard pour avorter. Olivia haït encore davantage son corps, qui l'avait trahi au plus haut point. Il avait osé garder une trace de son calvaire. Elle passa les trois mois restants à s’apitoyer sur son sort, shootée du matin jusqu'au soir.
Bien sûr, elle ne garda pas l'enfant après l'accouchement. Elle ne voulut même pas tenir l'enfant dans ses bras après. Elle prétendait n'en avoir rien à faire. En réalité, elle savait très bien que cela allait lui briser le cœur.
Au collège, elle n'osait même pas parler aux garçons pour ne pas montrer qu'elle avait des problèmes avec le sexe. Au lycée, elle couchait avec n'importe qui pour ne pas montrer qu'elle avait des problèmes avec le sexe. Sa famille ne la voyait presque plus, elle passait son temps d'un homme à un homme. Jamais des biens, que paumés ou des connards, comme les décrivait si bien ses frères, un peu perdus de voir leur petite sœur être devenue aussi désespérés. Personne ne comprenait et personne ne pouvait l'aider. Olivia était dans un cercle vicieux. Plus elle détestait sa vie, plus elle se droguait. Plus elle se droguait, plus elle détestait sa vie.
Un jour, un de ses copains eut une idée brillante. Elle était mignonne la Canjura, pour une junkie et vu l'argent qu'elle lui devait en consommation, elle pouvait bien un peu payer de sa personne pour lui rembourser. Évidement, dès qu'un de ses frères l’aperçut en train de racoler, non seulement il la ramena aussi sec à la maison, mais le génie qui l'avait poussé à faire ça regretta très vite. Mais il était trop tard, Olivia avait trouvé la bonne combine pour payer sa drogue. Le cercle vicieux reprit de plus belle.
Pourtant, malgré tout, Olivia est croyante et quand elle va à l’Église, elle prit. Elle aimerait bien quitter cette vie, briser le cercle, mais seule, elle s'en sent incapable. Alors, elle espère un miracle.