this is who you are
( in this story you are the hero )
You come in cold,
You're covered in blood.
They're all so happy you've arrived.
[The Chronicles of life and death - Good Charlotte]
Le Bronx. C'est fou comme un endroit peut vous faire être catalogué, comme ça, sans raison réelle. Quand Jethro est né, le Bronx avait toujours sa sale réputation. Il s'en est toujours moqué. D'abord parce qu'il ne comprenait pas. Puis parce qu'il en avait rien à foutre. Enfin, parce qu'il était fier de ses origines. C'était un truc que son old Man lui avait appris ça. Assimiler les insultes. Ne pas les renvoyer et les retourner en compliments. Un mec sage, son vieux.
" Le plus important, c'est de savoir encaisser. Met un genou à terre s'il le faut, mais ne baisse jamais les bras."Un peu philosophe aussi. Jet le vénérait, ce père. Déjà parce qu'il était pompier. Jet adorait les rares fois où son 'Pa acceptait de l'emmener à la caserne. C'était pas une grande caserne, mais à ses yeux de gamin, c'était un vrai paradis. Et puis; même si le quartier était difficile, tout le monde respectait les pompiers, à l'inverse des flics.
Ses parents étaient mais juste. Pas question pour eux que leur unique fils devienne un jour un délinquant. Et puis, même si l'école l'ennuyait, c'était un bon élève. Pas trop mauvais en sport non plus. Son père veillait à ce qu'il ait des bonnes notes et Jethro le vénérait tellement qu'il ne voulait pas le décevoir. Mais il était quand même loin d'être un surdoué. C'était un élève correct quoi qu'un peu fainéant sur les bords. Si vous lui aviez demandé ce qu'il voulait faire comme métier plus tard, le petit Jethro vous aurait sans doute répondu pompier, astronaute ou rockstar. Comme à peu près tous les gamins de son âge.
Dix ans de vie peinard, où le plus gros soucis était de se lever le dimanche matin pour aller à la messe - par tradition essentiellement. Voilà ce qu'était la vie de Jethro Holmes, du moins jusqu'à ce jour funeste où tout a basculé pour des milliers de gens. Ce jour-là, il était gravé dans sa mémoire comme il était ancré dans la mémoire collective. Ce jour-là, tout a changé lorsque deux 747 sont venus s'encastrer dans les tours jumelles.
Au début, il s'était trouvé chanceux. Après tout, son 'Pa était revenu vivant. Il était toujours là pour venir l'encourager aux tournois sportifs. Pour veiller à ce que ses devoirs soient faits pour la date butoir. Même s'il n'était plus le même.
Wipe the tears from your eyes.
Wipe your tears away.
Wipe your blodshoot eyes
[Sunday Bloody Sunday - U2]
Ça a changé du tout au tout quand son père est tombé malade, à cause de toutes ces saloperies inhalées dans les décombres, les poussières et toute cette misère et cette horreur... Elles l'ont tué à petit feu, le rongeant aussi sûrement que l'acide, jusqu'à ce que d'abord, il ne soit plus qu'un cadavre ambulant. Jusqu'à ce que la maladie l'emporte.
Jethro l'a mal vécu. Peut-être parce que ça le forçait à voir son père comme un simple humain. Peut-être parce qu'il était aussi en train de grandir. Du gamin qui voulait rendre son père fier et heureux, il devint l'adolescent en colère contre le monde entier. Insolent envers ses profs. Irrespectueux envers tout le monde. Et son père n'avait pas la force de le ramener à l'ordre. Alors il continuait. Il se détestait aussi pour ça. Il aurait voulu pouvoir guérir son père, mais c'était hors de sa portée. Il n'était pas magicien, c'était juste un gamin du Bronx.
Il pleuvait, le jour de l'enterrement. Une pluie lourde et étouffante. Mais ça n'avait pas découragé grand-monde. Tout le monde semblait être venu payer ses respects au Lieutenant Michael Holmes. Depuis ses collègues jusqu'à des anonymes qui avaient été secourus par le pompier. Jethro avait quinze ans et il décida qu'il ne serait jamais pompier si c'était pour mourir comme ça. Ce soir-là, il n'était pas rentré chez lui. Il avait erré dans les rues du Bronx, avait piqué une bouteille d'alcool et il s'était saoulé la gueule, vaine tentative pour noyer sa tristesse. Pendant un an, il a enchainé les mauvaises fréquentations et les conneries, sans jamais rien faire de trop grave - ou du moins, avec la chance inconsidérée de ne jamais se faire chopper. Jusqu'à ce que sa mère craque et décide de l'envoyer chez des cousins en Europe, plus précisément, en Ecosse, chez le frère cadet de son père.
The trouble with Scotland is that it's full of Scots.
[Braveheart]
Comme une grande claque dans la gueule. Là-bas, il ne connaissait rien ni personne. Tout juste s'il avait vu ses cousins deux fois avant l'enterrement de son père. Autant dire que ça ne l'avançait pas beaucoup. Même si ça l'emmerdait de l'avouer, la rupture avec tout ce qu'il connaissait. Il se calma un peu, même s'il était toujours en colère. Mais difficile de conserver des mauvaises fréquentations quand on est à l'autre bout du monde. Il se recentra un peu sur ses études, bien qu'en vérité, dire qu'il faisait des efforts aurait été un bien grand mot. On lisait sur ses bulletins plus de "peut mieux faire" que de "félicitations". Mais lui dire de bosser pour son avenir était seulement le meilleur moyen de s'attirer une répartie cinglante.
Néanmoins, il se découvrit un léger talent - et surtout un moyen d'extérioriser sa colère dans la pratique de la boxe. Même s'il ne serait jamais le nouveau Mohammed Ali, il appréciait le temps qu'il passait au gymnase et de finir totalement épuisé après les entraînements. Il n'était parti que pour une année et finalement, il y resta jusqu'à la fin du lycée. Mais une fois les cours finis, il savait qu'il lui faudrait rentrer à New-York. Et aussi étrange que ça puisse paraître, il avait presque hâte de retrouver le Bronx. Son foyer. Même en trois ans, il n'avait jamais réussi à considérer l'Ecosse comme un second chez lui. Parfois, il doutait même être à sa place dans le Bronx. L'éternelle interrogation des gens.
Quelle est ma place dans ce monde.Sa soirée de départ fut toutefois mémorable. Avec deux de ses cousins et quelques amis du lycée, ils décidèrent de fêter comme il se doit ce retour à la case départ. Ils burent, sans doute un peu trop, firent quasiment le tour d'Edimbourg à pieds - vu leur alcoolémie, c'était en soit un petit exploit - jusqu'à atterrir dans une boutique de tatoueur, pas très engageante à première vue. C'est ainsi qu'il ressortit avec une licorne tatouée sur le bras. Pour toujours se rappeler de ses origines, des origines de son père. Mais aussi parce qu'il était quand même un peu bourré. Et que quand on est ivre, on ne réfléchit pas vraiment.
This ones for the man that raised me
Taught me sacrifice and bravery
This ones for our favorite game
Black and gold, we wave the flag
This ones for my family name
With pride I wear it to the grave
[Rose Tattoo - Dropkick Murphys]
Retour à la case départ - second taquet dans la gueule. Le Bronx. New York, la ville qui ne dort jamais. Il a l'impression de redécouvrir sa ville. D'être un étranger qui débarque. Il a perdu son accent américain au profit de celui, écossais, de ses cousins. Sa mère le trouve changé. Lui se trouve paumé. Que faire de sa vie ? Reprendre les cours ? Non, c'est tout juste s'il a pas tout envoyé bouler au lycée. Faut pas compter sur lui pour aller à Harvard. Qu'est-ce qu'il foutrait à la fac ? Rien. Rien de vraiment utile. Mais rester oisif n'amènerait rien de bon. Il avait besoin de faire quelque chose de ses dix doigts.
Il commença par enchaîner les petits boulots. Obstiné comme un écossais, il refusait de revenir sur ses décisions. Il fit un peu de tout et de n'importe quoi. Caissier. Coursier. Mécano. Serveur. Mais ça ne lui convenait jamais très longtemps. Il s'ennuyait. Ou une remarque désobligeante lui faisait perdre patience. Mais il ne voulait pas rompre la promesse qu'il s'était faite le jour de l'enterrement de son père.
Jamais il ne serait pompier. Un soir en rentrant de son énième petit boulot insatisfaisant, il s'arrêta dans une salle de sport de son quartier. Le genre à donner l'impression d'être dans Million Dollar Baby.
C'était plus qu'une salle de sport. C'était aussi le refuge des gamins un peu bagarreurs qui ne voulaient pas finir leurs jours dans un gang. Comme il avait un niveau potable, il s'était mis à aider les coachs sur son temps libre, même si ça signifiait se faire cogner dessus par des petits merdeux. C'était presque qu'il les appréciait. Et puis ça devenait aussi son exutoire. Valait mieux qu'ils cognent dans un sac de sable que dans quelqu'un dehors. Et puis qu'ils finissent en taule. Ces gamins - parfois ses cadets de seulement quelques mois, quoi qu'il en dise - c'était lui, quelques temps auparavant.
All great things are simple, and many can be expressed in single words : freedom, justice, honor, duty, mercy, hope. [W. Churchill]
Il ne faut jamais faire de promesses qu'on ne peut pas tenir. Ce fut le premier truc qui traversa l'esprit de Jethro le jour où il franchit les portes de l'Académie des Pompiers de New York pour récupérer un dossier d'inscription. Un frisson lui avait parcourut l'échine. Quelles avaient été les pensées de son père la première fois qu'il était rentré ici ? Avait-il eu la trouille ? Après tout, ce n'avait été qu'un humain. Il remplit son dossier, passa les tests qu'on lui demandait de passer. Prépara le concours comme jamais il avait travaillé les cours.
Il se donna à fond pendant les classes, s'acharna même. Il ne voulait pas échouer. Il ne
pouvait pas échouer. Même s'il fut tenté plusieurs fois de lâcher prise, il s'accrocha. Aussi borné qu'un écossais. Bien décidé à montrer qu'il avait beau être le fils de son père, il était avant tout Jethro Caleb Holmes. Un individu à part entière. Et qu'il était fait pour ce job. Le jour où il devint officiellement pompier, il vit la fierté dans les yeux de sa mère. Des larmes de joies. De l'angoisse. Mais surtout de la fierté.
Sa première affectation fut la caserne 55. Pas facile d'être le bleu quand on a un fort caractère. néanmoins, il ne refuse pas les corvées, même s'il s'arrange pour "se venger" à sa façon. Comme par exemple, quand il dut cuisiner pour la cinquième garde d'affilée, préparer un bon vieux haggis pour toute l'équipe. Même s'il avait quand même préparé quelque chose de plus... conventionnel.
Pour la première fois de sa vie, il a vraiment l'impression d'être à sa place.
Finies les conneries, mec, maintenant, t'es un pompier, tu dois faire honneur à ton uniforme.